Introduction à la chronobiologie

Chacun d’entre nous a probablement déjà éprouvé  une fatigue irrésistible. La probabilité de ressentir ce genre de creux varie fortement en fonction du moment de la journée. Ainsi, on sait que la survenue de décrochages attentionnels augmente rapidement lorsque la période d’éveil s’étend durant la nuit biologique. D’autres études indiquent également (même si de façon moins consistante) la présence d’une baisse de performance en début d’après-midi, apparaissant même en absence de repas de midi trop copieux. Au-delà de ces effets bien connus, nous différons également tous dans nos habitudes de veille-sommeil. Une grande variabilité existe par exemple dans les horaires préférés de veille et de sommeil, mais aussi  dans la manière dont on gère une absence (privation) de sommeil. Ces différents effets se trouvent sous l’influence de rythmes biologiques, des processus investigués par un domaine scientifique spécifique : la chronobiologie.

La chronobiologie consiste en l’étude de l’organisation temporelle des organismes. Un organisme vivant n’est pas statique, mais constamment exposé à des changements dynamiques provenant de l’environnement ainsi que de changements émanant de son propre corps. Si ces changements internes se répètent systématiquement de façon périodique, on peut parler de rythmes biologiques. Le rythme circadien présente une période d’environ 24 heures (circa : environ ; dies : jour) et est synchronisé sur le cycle de 24 heures régnant sur terre par une série de « donneurs de temps », notamment la lumière. Celle-ci adapte la période du rythme circadien sur exactement 24 heures, permettant une synchronisation entre rythmes endogènes et exogènes. Un rythme est caractérisé par son amplitude, sa période, ainsi que par sa phase.  L’amplitude consiste en la différence entre la valeur maximale (ou minimale) et la valeur moyenne du paramètre rythmique étudié. La période peut être définie comme le temps après lequel une phase définie de l’oscillation se reproduit. La phase correspond à l’état  d’une oscillation (e.g. son maximum ou minimum) à un point spécifique par rapport à un repère de temps extérieur (e,g, moment de la journée).

Divers rythmes biologiques ont été détectés (rythmes circadiens, circannuels, circalunaires, circatidaux), le plus étudié étant le rythme dit circadien. Celui-ci possède une période d’environ 24 heures (circa : environ- dies : journée), signifiant qu’il présente un maximum et un minimum se répétant toutes les 24 heures. Le rythme circadien est adapté ou calibré à l’alternance jour/nuit régnant sur terre étant donné la rotation de celle-ci autour de son axe toutes les 24 heures. En effet, on assume que le cycle solaire a provoqué l’évolution de rythmes circadiens chez la majorité des organismes – de la bactérie jusqu’à l’homme – et à tous les niveaux – du gêne jusqu’au comportement.

Ces rythmes dits circadiens sont endogènes, c’est à dire générés par le corps et non provoqués par des influences externes. Ceci fut initialement décrit par de Mairan en 1729 qui a observé que les feuilles d’une plante (Phaseolus coccineus) s’ouvrent et se ferment selon qu’il fait jour ou nuit. Dans un premier temps, il en a conclu  que la plante réagissait à la lumière et à l’obscurité. Toutefois, lorsque la plante se trouvait dans des conditions d’obscurité complète, ses feuilles continuaient à se fermer et à s’ouvrir selon un rythme d’environ 24 heures, prouvant sa nature endogène. Le caractère endogène des rythmes circadiens a également été observé chez l’homme, pour la première fois en 1938 par Kleitman et Richardson.

Cependant, comme déjà mentionné, le rythme circadien ne présente pas une période d’exactement 24 heures, mais celle-ci est en général légèrement plus longue (en moyenne environ 24.2 heures). Ceci veut dire que si nos habitudes de veille-sommeil étaient uniquement dictées par la rythmicité circadienne endogène, on se coucherait et lèverait chaque jour 0.2 heures plus tard ce qui provoquerait une désynchronisation entre les conditions extérieures de lumière-obscurité et notre rythme de veille-sommeil. Toutefois, notre rythmicité circadienne est calibrée sur une période exacte de 24 heures à l’aide d’« indicateurs temporels » ou « Zeitgeber », permettant de synchroniser notre horloge endogène avec le temps externe . Le Zeitgeber le plus important représente la lumière environnante. L’information sur la quantité et la qualité de l’exposition à la lumière traverse la rétine pour atteindre l’hypothalamus antérieur (et plus spécifiquement les noyaux suprachiasmatiques, via la voie rétino-hypothalamique). La lumière est ainsi absorbée par des photorécepteurs de l’œil, notamment ceux contenant la mélanopsine puis parviennent directement au noyau suprachiasmatique, considéré comme le chef d’orchestre de la rythmicité circadienne. A travers cette voie, la lumière permet de synchroniser notre horloge biologique interne avec les conditions jour-nuit régnant sur terre.

En résumé, les rythmes circadiens sont endogènes, signifiant qu’ils persistent en absence de facteurs externes de l’environnement. Sous ces conditions, leur période dévie légèrement de 24 heures. La présence de  « Zeitgebers » (notamment la lumière du jour), permet leur synchronisation avec le rythme de 24 heures caractérisant la rotation de la terre et l’alternance jour/nuit. Sous des conditions parfaitement synchronisées, l’individu parvient à garder un niveau de vigilance et des performances cognitives relativement stables, même si des différences inter-individuelles ont été rapportées. Une désynchronisation entre nos habitudes de vie et nos besoins physiologiques mène à une détérioration de nos états de vigilance et à une perturbation de nos performances cognitives. A côté de la privation de sommeil ou du travail de nuit, un autre exemple de désynchronisation représente le phénomène du « jetlag », décrivant les symptômes résultant de l’adaptation de l’organisme à un nouvel horaire, suite à un vol dépassant plusieurs fuseaux horaires par exemple. Dans ce cas, les heures de repas, l’activité et l’endormissement sont décalés pour un individu donné par rapport à ses habitudes. En fonction du décalage, il faut un nombre de jours plus ou moins important pour réajuster ses habitudes de sommeil au nouvel environnement temporel. L’insomnie, le réveil précoce, des troubles de l’humeur, mais aussi de la somnolence journalière associée à des troubles de la vigilance et des facultés d’apprentissage peuvent en résulter.

Source: Schmidt, C. & Collette, F. (2016). Impact du moment de la journée et du rythme de veille-sommeil sur les performances cognitives. Revue de neuropsychologie, volume 8,(3), 173-181. doi:10.1684/nrp.2016.0391.